« Tant que l’enfant est considéré comme une poubelle dans laquelle on peut déverser impunément tous les « déchets d’affects », la pratique de la « pédagogie noire » ne se modifiera guère. Et dans le même temps, nous nous étonnerons de la multiplication des psychoses, des névroses, des cas de toxicomanie dans la jeunesse, nous nous révolterons en nous avouant désarmés contre les perversions sexuelles et les actes de violence, et nous nous exercerons à considérer les guerres d’extermination comme faisant partie intégrante de notre existence.
Mais dès lors que les connaissances psychanalytiques auront pénétré dans l’opinion publique – ce qui se produira certainement un jour ou l’autre grâce à de jeunes êtres qui grandiront plus libres –, la loi de la « puissance parentale » fondée sur l’absence de tout droit de l’enfant dans l’intérêt de l’humanité ne sera plus défendable. Il ne sera plus considéré comme naturel que des parents déchargent sans retenue leur colère et leur rancœur sur l’enfant, alors qu’ils exigent de lui dès son plus jeune âge la domination de ses affects. Il faudra bien que quelque chose change dans l’attitude des parents lorsqu’ils s’apercevront que ce qu’ils ont pratiqué de bonne foi jusqu’à présent en le considérant comme « l’éducation nécessaire » n’est au fond qu’une histoire de vexations, d’humiliations et de mauvais traitements.
De plus, l’opinion publique s’ouvrant de plus en plus à l’idée du rapport entre crime et expérience de la petite enfance, le fait que tout crime révèle une histoire cachée, que l’on peut lire dans chacun des détails et dans la mise en scène de l’acte, ne restera plus un secret entre spécialistes. Mieux nous étudierons ces corrélations, mieux nous attaquerons le rempart derrière lequel de futurs criminels sont jusqu’à présent impunément produits. L’origine de l’acte de vengeance ultérieur réside dans le fait que l’adulte peut laisser libre cours à son agressivité contre l’enfant, alors que les réactions affectives de l’enfant, encore plus intenses que celles de l’adulte, sont réprimées avec la plus grande violence et punies des plus rigoureuses sanctions. »
Miller, Alice. C’est pour ton bien: Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant